Contraception dite masculine : l’impuissance publique – 27.09.2022

“Il y a deux choses qui me posent un problème : l’augmentation des infections sexuellement transmissibles (IST) spécifiquement les chlamydias et le gonocoque, ainsi que la problématique de l’accessibilité à la contraception d’urgence.”

 

 

François Braun, ministre de la Santé, 20 septembre 2022 (1)

Difficultés d’accès à l’IVG, demande de plus en plus pressante de l’implication des hommes dans la contraception, violences intrafamiliales, inceste, violences éducatives, harcèlement : tous ces problèmes là ont-ils aux yeux de ce nouveau ministre trop peu d’impacts sur notre santé pour que le gouvernement s’empresse d’y consacrer les moyens suffisants ? L’État n’a pas suffisamment de moyens pour investir ces sujets ? Plus nous attendons, plus nous payons cher les conséquences de toutes ces vies alourdies, dévastées parfois même interrompues.

 

Impliquer les hommes dans la contraception : un impératif d’égalité

 

Parlons de prévention puisque le ministre a évoqué ce sujet, mais aussi de liberté et d’égalité puisqu’il ne l’a pas fait. Il annonçait la gratuité de la pilule du lendemain pour toutes les femmes. On se demande déjà si leur partenaire pourra aller la chercher. Et avant cela, n’est-il pas nécessaire que les hommes participent eux aussi au travail contraceptif en mettant en œuvre des moyens pour maîtriser leur propre fertilité plutôt que de déléguer cette charge à leurs partenaires ? Ne doivent-ils pas eux aussi intervenir sur leur corps ou choisir leurs pratiques sexuelles pour éviter une fécondation qui n’est pas souhaitée ? Aucune méthode n’étant efficace à 100%, ne leur revient-il pas d’utiliser eux aussi leur propre méthode contraceptive en complément de celles de leurs partenaires. Les hommes ne doivent-ils pas comprendre que la décision de poursuivre ou d’interrompre une grossesse ne leur appartient pas, pas du tout, même pas un tout petit peu : s’ils ne souhaitent pas faire d’enfant, ont-ils d’autre choix possible que de s’occuper de leur sperme pour éviter la fécondation ? Et ceux qui ont déjà compris tout cela ne doivent-ils pas disposer d’un éventail plus large et plus satisfaisant de méthodes ? Ceux qui aimeraient les utiliser mais ne parviennent pas à y accéder tout comme ceux qui les utilisent déjà malgré leur caractère expérimental ne doivent-ils pas être accompagnés correctement ? À tout cela il répond :

“Je saisirai la Haute Autorité de santé pour disposer de recommandations des autorités scientifiques sur la contraception masculine. Mais renforçons d’abord la protection des femmes, puis nous ouvrirons à partir de l’année prochaine, en fonction des données scientifiques, plus largement, si nécessaire, à la contraception masculine.” (2)

 

Quand soutiendra-t-il enfin toutes les initiatives déjà à l’œuvre sur le terrain ? Quand leur reconnaîtra-t-il leurs savoirs et leurs savoir faire ? Quand leur donnera-t-il les moyens de se déployer à la hauteur des besoins ?  Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut Conseil à l’égalité, affirmait la semaine précédente devant la délégation aux droits des femmes :

“Il faudrait mettre le paquet pour que le poids de la contraception ne repose pas une fois de plus sur les femmes. C’est un point fondamental de l’égalité.” (3)

Renforcer la protection des femmes, et pas seulement en matière de contraception ou d’IST, consiste-t-il à favoriser leur accès aux soins, ou à prendre des mesure préventives pour responsabiliser et impliquer les hommes qui aujourd’hui leurs causent tant de nuisances et de préjudices ? À l’évidence, l’un ne doit pas aller sans l’autre.

 

Éduquer dès le plus jeune âge

 

Alors que la veille Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, reconnaissait l’importance de mettre enfin en application les trois séances annuelles d’éducation à la sexualité prévues par la loi du 4 juillet 2001 (4), la présidente du HCE ajoutait qu’il ne suffit pas de les mettre en place mais aussi de les adapter en faisant appel à des associations, à des personnes formées spécifiquement plutôt que de confier cette missions aux enseignant*s. Elle reconnaît l’importance de l’expérience, de l’expertise.

“C’est une urgence parce que si on ne fait rien là, on prépare les violences et les féminicides de demain. […] Il faut s’y prendre le plus vite possible, dès le primaire, il y a des enseignements à faire, adaptés à chaque âge, pour que dès l’enfance, l’égalité, le respect, le consentement soient complètement intégrés dans les psychologies.” (5)

La semaine suivante, le ministre de la Santé n’avait apparemment pas encore considéré l’opportunité pour y parvenir de recourir au milieu associatif et de lui apporter le soutien nécessaire :

“Dire que l’on va multiplier par dix le nombre de praticiens scolaires, ce serait très bien, mais on n’a pas les troupes. Par contre, je vais travailler sur ces infirmières en pratique avancée, sur du partage de compétences […] pour que nous puissions répondre aux besoins de santé des français.” (6)

Mais leurs conditions de travail déplorables les ont déjà poussées à déserter. Les épuiser en alourdissant encore leur charge de travail risque plutôt d’aggraver la pénurie de soignants. De plus, ce secteur professionnel est très féminisé alors que les adolescent*s ont besoin de pouvoir parler aussi à des hommes de ces sujets. Il est nécessaire de les recruter et de les former dès maintenant. Là encore, le tissu associatif a pris de l’avance et ses compétences doivent être reconnues.

 

Éduquer toute la société

 

L’éducation à la vie relationnelle et affective sont aussi nécessaires que l’éducation à la sexualité. S’il est indispensable qu’elles commencent dès le plus jeune âge, il l’est tout autant qu’elles se poursuivent tout au long de la vie. Les adultes que nous sommes avons d’énormes lacunes : nous avons besoin d’apprendre. Si les violences conjugales sont un sujet davantage médiatisé, le problème est loin d’être résolu. Nos réflexions, nos actions, doivent s’élargir à toutes les formes de violence. Catherine Guéguen, pédiatre qui diffuse les résultats des neurosciences affectives et sociales, explique qu’une révolution éducative est nécessaire et possible. Notre société toute entière est pétrie par des mécanismes de domination, de compétition et d’exploitation. Les maltraitances physiques mais aussi psychiques sont bien plus répandues que nous voulons bien l’admettre et traversent tous les milieux. Ces sujets essentiels et complexes nécessitent des investissements à la hauteur des enjeux. Lutter contre les violences éducatives “ordinaires”, le sexisme “ordinaire” et toutes les formes de dominations “ordinaires”, c’est aussi lutter contre l’inceste, lui aussi ordinaire, et toute autre forme de pédocriminalité. Ce qui nous touche au plus profond de nos intimités doit trouver des réponses politiques.

 

Abolir les privilèges masculins

 

Même si les mesures annoncées devraient améliorer la situation, elles sont encore très insuffisantes. Si les dépenses publiques ne sont pas extensibles à l’infini, il est nécessaire de reconsidérer les priorités qui ont été établies. L’État n’est légitime que s’il remplit son unique rôle : investir dans le bien-être de l’ensemble de la population. Lorsqu’il présentait devant la délégation aux droits des femmes le bilan d’un quinquennat dont l’égalité était la grande cause annoncée, Olivier Véran avait déjà montré les réticences du gouvernement à s’attaquer aux privilèges des hommes (7). François Braun dit vouloir “recréer un système de santé sur la base des besoins de santé de la population et non pas sur l’offre” (8). Ministre, il se doit de tenir ses engagement. Homme occupant cette fonction, il doit être exemplaire. Il ne suffit pas seulement de ne pas violer les femmes ou de ne pas les gifler. Il se doit, il nous doit, de combattre tous les privilèges qui constituent la domination masculine. La pression exercée sur les institutions augmentera aussi longtemps que nécessaire pour obtenir gain de cause : il suffit pour s’en convaincre de songer à toutes les victoires arrachées par les femmes au cours du dernier siècle.

 

1, 2 – https://www.20minutes.fr/sante/4001778-20220920-pilule-lendemain-gratuite-toutes-femmes-annonce-ministre-sante-francois-braun

3, 5 – https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12148972_632076432db70.delegation-aux-droits-des-femmes–mme-sylvie-pierre-brossolette-presidente-du-haut-conseil-a-l-ega-13-septembre-2022

4 – https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/question-de-societe/ecole-l-education-sexuelle-n-a-rien-a-voir-avec-la-theorie-du-genre-se-defend-pap-ndiaye_5356393.html

6, 8 – https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-19-septembre-2022-8942364

7 – Contraception dite masculine : l’impuissance publique – https://youtu.be/eLrhFeIXfZ4